Au Vietnam, les soldats opposés à la guerre “fraggaient” parfois leurs officiers

La guerre du Viêt Nam, de 1955 à 1975, a été l’un des conflits les plus violents de l’histoire, ayant causé près de 2 millions de morts parmi la population vietnamienne civile (du nord et du sud), sans compter les centaines de milliers de soldats vietnamiens et alliés tombés sur le champ de bataille.

La guerre du Viêt Nam est connue pour avoir été le théâtre de violents affrontements entre les soldats américains et les soldats Viet Cong (Front national de libération du sud Viêt Nam).

Vietnam
Crédits Pixabay

Mais une chose dont on n’entend pas beaucoup parler, c’est qu’en plus des soldats Viet Cong les Américains devaient craindre leurs propres hommes.

La pratique s’appelait le “fragging” (oui oui), et elle était très populaire au sein des soldats américains désillusionnés et frustrés par cette guerre qu’ils ne considéraient pas comme la leur.

En quoi consistait le fragging ?

Le conflit vietnamien a donné lieu au plus fort mouvement anti-guerre de l’histoire des États-Unis. C’est à la suite de ce mouvement que le phénomène du fragging s’est de plus en plus développé auprès des soldats qui ne croyaient pas à la guerre. Ces attaques contre leurs propres compagnons d’armes constituaient généralement des représailles pour des mesures disciplinaires.

Mais le fragging était également utilisé par les troupes qui voulaient se débarrasser d’un officier qu’ils jugeaient incompétent.

La pratique consistait à utiliser une grenade à fragmentation pour assassiner un officier sans laisser de preuve. D’où le nom de « fragging » (fragmentation). Puisque l’obus de la grenade était détruit avec l’explosion, toutes les empreintes digitales disparaissaient par la même occasion. De plus, les grenades n’avaient pas de numéro de série unique, ce qui rendait impossible de remonter jusqu’à l’arme du meurtrier.

Dans certains cas de fragging, les cibles ont même reçu un avertissement sous la forme d’une grenade avec leur nom peint dessus, posée dans leur dortoir avec la goupille de sécurité encore en place.

Un cas rapporté de fragging

L’un des cas de fragging qui a été rapporté s’est passé dans la nuit du 15 mars 1971, lorsqu’un groupe d’officiers d’artillerie américains, en poste à la base de l’armée de l’air de Bien Hoa, avaient décidé de s’accorder un moment de répit en organisant une petite fête avec de la “bonne bouffe”.

Mais ce moment de convivialité a été soudainement brisé vers 1 heure du matin lorsqu’un énorme bruit d’explosion se fit entendre. Les soldats qui ont pensé à une attaque des Viet Cong se sont tout de suite mis en position de défense, mais il n’y avait plus aucun signe d’hostilités.

Les soldats découvrirent ensuite que le bruit avait été produit par une grenade jetée par une fenêtre ouverte dans la chambre des officiers. L’attaque avait coûté la vie à deux hommes : le premier lieutenant Thomas A. Dellwo et le sous-lieutenant Richard E. Harlan. Après une petite enquête, les soldats ont découvert que l’attaque n’était pas l’œuvre de l’ennemi, mais de l’un des leurs : le soldat Billy Dean Smith.

Le meurtre par fragging de Harlan et Dellwo a été le premier à être porté à la connaissance du public américain, mais ce n’était pas le premier et encore moins le dernier.

Les raisons de cette violence entre soldats

Ce n’est pas pendant la guerre du Vietnam que les grenades à fragmentation ont commencé à être utilisées, elles étaient déjà utilisées depuis la Première Guerre mondiale. Pourtant aucun cas de fragging n’a été rapporté au cours des deux guerres mondiales, ni même d’aucune autre opération militaire américaine avant le Vietnam. Les chercheurs pensent donc que c’est la nature même de la guerre qui est à l’origine du fragging.

Pendant la guerre du Vietnam, l’armée américaine avait mis en place une politique de rotation de six mois pour les officiers et d’un an pour les soldats. Ce qui signifie que les hommes n’avaient pas vraiment le temps de tisser des liens solides, pourtant cruciaux au combat. L’augmentation de la consommation de drogue et du nombre se soldats toxicomanes ont également contribué à la popularisation du fragging. Le soldat Billy Dean Smith a lui-même ouvertement admis lors de son procès qu’il avait consommé de la drogue au moment de l’attaque qui a coûté la vie aux soldats Harlan et Dellwo.

Roy Moore, un ancien juge en chef de l’Alabama qui a également servi au Vietnam en 1971, a décrit comment “l’usage de drogue était généralisé”, de sorte qu’il “a administré de nombreuses infractions à l’Article Cinquante, et inculpations disciplinaires en l’encontre de soldats insubordonnés ou désobéissants.”

Le bilan du fragging

Certains comptes rendus font état de 800 tentatives de fragging documentées dans l’armée et le corps des marines durant toute la guerre du Vietnam. Mais d’autres rapports mentionnent plus de 1 000 incidents de ce type. Rien qu’entre 1969 et 1970, l’armée a signalé 305 fraggings. Sans doute qu’on ne connaîtra jamais le nombre réel de fraggings qu’il y a eu au cours de cette guerre.

Les États-Unis se sont officiellement retirés du Vietnam en 1973, et ont mis fin à tous leurs projets militaires dans le pays par la même occasion. La fin de la guerre a également marqué la fin du fragging. Aucun autre cas n’a été rapporté depuis.

1 réflexion au sujet de « Au Vietnam, les soldats opposés à la guerre “fraggaient” parfois leurs officiers »

  1. Extrait du livre “Agent Orange, Apocalypse Viêt Nam“.
    Des soldats distribuent des journaux anti-guerre dans les bases, évitent
    les combats, sabotent projets et matériels, désertent. Les officiers qui
    exigent un nombre maximum de morts lors des opérations sont souvent
    assassinés par leurs hommes. Le « fragging », désignant l’usage de
    grenade à fragmentation pour tuer son officier, devient une pratique
    ordinaire. Si au cours des deux guerres mondiales, puis du conflit en
    Corée, les meurtres d’officiers militaires états-uniens restèrent rares, avec
    un ratio de 1 pour 12 700 militaires, ce taux augmenta considérablement
    durant la guerre du Viêt Nam. Il serait passé de 1 pour 3 300 en 1969, à
    1 pour 572 en 1971. L’historien américain Guenter Lewy, dans son livre
    America in Vietnam paru en 1978, cite un rapport de l’armée devant le
    Congrès qui dénonce 730 fraggings : 126 en 1969 ; 271 en 1970 ; et 333
    en 1971 au moment du témoignage.4 Il est peu probable que cette
    pratique, pour laquelle l’armée elle-même ne dispose que d’estimations
    parcellaires, ait brusquement cessé ensuite. Moins de 10 % de ces cas
    seront jugés devant une cour martiale, témoignant du désarroi de l’armée ;
    80 % des fraggings étaient perpétrés le plus souvent contre des sousofficiers
    de terrain, lieutenants et capitaines.
    Le département de la Défense recensa 503 926 « cas de désertion »
    du 1er juillet 1966 au 31 décembre 1973, et 98 324 pour la seule année
    1971. Cela signifie qu’au cours de la guerre le même nombre d’hommes
    déserta les forces armées que le nombre total de soldats américains
    stationnés au Viêt Nam à l’apogée de la guerre. En 1970, l’armée connut
    65 643 défections, l’équivalent de quatre divisions d’infanterie. L’amiral
    Elmo Zumwalt Jr, chef des opérations navales, déclara : « Nous faisons
    face à une crise du personnel qui s’approche au désastre ». Le professeur
    Appy5 commenta : « Entre 1969 et 1972, les officiers qui continuaient à
    faire pression sur leurs hommes pour causer le nombre maximum de
    morts étaient universellement détestés ». Ceux des soldats qui ne
    pouvaient pas s’enfuir commencèrent à se rebeller, à tuer, et à blesser des
    officiers qui les envoyaient dans des missions dangereuses. En août et
    septembre 1969, deux unités d’infanterie se mutinèrent après avoir subi
    de lourdes pertes dans des missions précédentes. « Durant les deux
    années suivantes, la presse publia de nombreux rapports d’unités entières refusant les ordres d’aller au combat, et le public put voir deux cas avérés
    de rébellion sur les réseaux télévisés », rapporte Franklin. (…) Les
    fraggings augmentèrent alors que dans le même temps le nombre de
    soldats chuta de 500 000 à 200 000.
    À l’arrière, les vétérans revenus massivement aux États-Unis
    rejoignent le mouvement anti-guerre. Les 18 et 22 avril 1971, un millier*
    de vétérans devenus pacifistes jettent leurs décorations par-dessus les
    grilles du Capitole ; cet acte largement diffusé par les télévisions ébranle
    les esprits.

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