Elizabeth Magie ou l’histoire de l’inventrice du Monopoly

Elizabeth Magie, l’inventrice peu connue du jeu Monopoly, se serait sans doute mordu les doigts si elle avait vécu suffisamment longtemps pour voir à quel point la version tordue de son jeu était devenue populaire et influente aujourd’hui.

Pourquoi ? Parce que la version du jeu de Monopoly qu’on a aujourd’hui encourage ses joueurs à célébrer exactement les valeurs opposées à celles qu’Elizabeth Magie voulait défendre à travers le jeu originel.

Monopoly Pokémon Johto Edition
L’édition Johto du Monopoly Pokémon débarque

L’histoire d’Elizabeth Magie

Née en 1866, Magie était une rebelle déclarée qui s’opposait aux normes et à la politique de son temps. Elle était célibataire à la quarantaine, indépendante et fière de l’être, et elle n’a pas hésité à faire savoir son point de vue à travers un coup publicitaire très audacieux. Elle a en effet sorti une publicité dans un journal où elle se présentait comme une « jeune esclave américaine » à vendre au plus offrant. Son objectif, a-t-elle dit aux lecteurs choqués, était de mettre en évidence la position subordonnée des femmes dans la société. “Nous ne sommes pas des machines”, avait-elle déclaré. “Les filles ont des cerveaux, des désirs, des espoirs et des ambitions.”

En plus de faire front contre la politique du genre, Magie a également décidé de s’en prendre au système capitaliste de la propriété – cette fois pas par un coup de pub mais sous la forme d’un jeu de société. L’inspiration de Magie a commencé avec un livre que son père, l’homme politique anti-monopole James Magie, lui avait remis. En lisant les pages du classique de Henry George, « Progress and Poverty » (1879), elle a adopté la conviction de l’auteur qui pensait que : « le droit égal de tous les hommes d’utiliser la terre est aussi clair que leur droit égal à respirer l’air – c’est un droit proclamé par le fait de leur existence ».

Déterminée à prouver le mérite de l’idéologie de George, Magie a inventé, et breveté en 1904, ce qu’elle a appelé le « Landlord’s Game » (le Jeu du Propriétaire). Placé sur le plateau sous forme de circuit (ce qui était une nouveauté à l’époque), le jeu était constitué de rues et de monuments à vendre. La principale innovation du jeu de Magie, cependant, résidait dans les deux ensembles de règles qu’elle a écrites pour le jouer.

Les règles originelles du Monopoly

Selon le règlement de « Prospérité » du jeu de Magie, chacun des joueurs gagnait à chaque fois que quelqu’un acquérait une nouvelle propriété (ce qui reflétait la politique de George consistant à taxer la valeur du terrain), et la partie était gagnée (par tous !) lorsque le joueur qui avait commencé avec le moins d’argent réussissait à doubler son gain. En revanche, selon le règlement « Monopoliste », les joueurs avançaient en acquérant des propriétés et en percevant des loyers auprès de tous ceux qui avaient la malchance de s’y installer – et celui qui réussissait à ruiner les autres était le seul gagnant (cela vous semble familier ?).

Le but des deux ensembles de règles, a déclaré Magie, était pour les joueurs de vivre une « démonstration pratique du système actuel d’accaparement des terres avec tous ses résultats et conséquences habituels » et donc de comprendre comment les différentes approches de la propriété peuvent conduire à différents résultats sociaux. “On pourrait bien l’appeler « Le jeu de la vie »”, remarqua Magie, “car il contient tous les éléments de succès et d’échec dans le monde réel, et l’objet est le même que la race humaine en général semble avoir, c’est-à-dire, l’accumulation de la richesse”.

Le détournement du jeu d’Elizabeth Magie

Le jeu fut bientôt un succès parmi les intellectuels de gauche, sur les campus universitaires, y compris la Wharton School, Harvard et Columbia, et aussi parmi les communautés Quakers, dont certaines modifièrent les règles et redessinèrent le tableau du jeu avec des noms de rues d’Atlantic City. Parmi les joueurs de cette adaptation Quaker se trouvait un homme au chômage appelé Charles Darrow, qui plus tard a vendu cette version modifiée à la société de jeux Parker Brothers comme la sienne.

Une fois les vraies origines du jeu découvertes, Parker Brothers a racheté le brevet de Magie, mais a relancé le jeu de plateau simplement comme « Monopoly », en fournissant au public avide un seul ensemble de règles : celles qui célèbrent le triomphe de l’un sur tous. Pire, ils l’ont commercialisé avec la prétention que l’inventeur du jeu était Darrow, qui, selon eux, l’avait rêvé dans les années 1930, l’avait vendu à Parker Brothers et était devenu millionnaire. C’était une histoire inventée qui illustrait ironiquement les valeurs implicites de Monopoly : chassez la richesse et écrasez vos adversaires si vous voulez sortir vainqueur.

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.