Imaginez un instant une grande citée avec de petites maisons empilées les unes sur les autres. Ces petites maisons sont reliées les unes aux autres par des escaliers serpentant sous des fils qui pendent, à travers des couloirs si sombres que même les forces de l’ordre auraient eu peur de s’y aventurer.
Imaginez maintenant plus de 35.000 personnes vivant dans cet environnement étouffant où l’air même peine à circuler. Eh bien, vous venez d’avoir une description sommaire de la Citadelle de Kowloon, autrefois considérée comme la colonie humaine la plus dense au monde.
Une citée née au cœur du conflit sino-britannique
La Citadelle de Kowloon était autrefois considérée comme l’endroit le plus densément peuplé de la planète, avec près de 35 000 personnes entassées dans de minuscules blocs d’appartements répartis sur plus de 300 hauts immeubles collés les uns aux autres, tous construits sans l’intervention d’un seul architecte. En 1987 la citée avait pas moins de 1,9 million hab./km2.
L’histoire de la Citadelle de Kowloon remonte à la dynastie Sung de 960 à 1297. À l’époque, la cité est un petit fort construit pour abriter les soldats impériaux chinois qui contrôlaient le commerce du sel. Cela dura jusqu’à la seconde moitié du 19e siècle, lorsque les Chinois furent confrontés à l’invasion des Britanniques, qui détenaient l’île de Hong Kong. La cité fut alors transformée en une véritable ville de garnison, où des soldats et des fonctionnaires et leurs familles étaient logés.
En 1898, la Citadelle de Kowloon était la seule partie de Hong Kong que la Chine refusait de céder aux Britanniques dans le cadre du bail de 99 ans sur Kowloon et les Nouveaux Territoires.
La Grande Bretagne avait alors convenu que la Chine pourrait garder la Citadelle jusqu’à l’établissement de l’administration coloniale de la région. La Chine n’a cependant jamais abandonné sa revendication de juridiction sur la Citadelle de Kowloon, et le conflit territorial est finalement resté sans issu.
Le résultat fut que la Citadelle de Kowloon devint une enclave sans loi et un foyer d’activités criminelles.
En décembre 1899, après plusieurs tentatives infructueuses de mettre de l’ordre dans la ville, les Britanniques ont annoncé que la Citadelle serait désormais sous leur juridiction et les autorités chinoises se virent contraintes de partir. La ville devint alors un territoire isolé. Des parties étaient louées à des institutions caritatives gérées par l’église, mais la grande partie de la ville est restée délabrée.
Une surpopulation progressive après la Seconde Guerre mondiale
Pendant la Seconde Guerre mondiale, la Citadelle de Kowloon fut envahie par les Japonais qui démolirent la partie la plus ancienne de la ville. Mais cela n’empêcha pas les réfugiés chinois d’affluer dans la citée après la guerre.
Il faut dire que les loyers étaient très bas et il n’y avait aucun souci à se faire concernant les taxes, les visas et autres licences.
En 1947, le site comptait environ 2 000 camps de squatters. Des bâtiments permanents ont ensuite été construits, et en 1971 la Citadelle de Kowloon comptait 2 185 logements occupés par 10 000 personnes.
Vers la fin des années 1980, la Citadelle accueillait près de 35 000 personnes qui vivaient dans une anarchie totale. Le gouvernement a tenté à plusieurs reprises de nettoyer la ville, mais à chaque fois les habitants ont menacé de créer un incident diplomatique. Leur argument, pour éviter que les autorités ne viennent fouiner dans leurs affaires, était que la ville faisait partie de la Chine et qu’elle n’appartiendrait jamais à Hong Kong. Le gouvernement chinois de son côté a adopté une politique non interventionniste à l’égard de la cité afin d’éviter de nuire aux relations sino-britanniques.
Progressivement, la citée est redevenue un foyer d’activités criminelles avec une multiplication des stands d’héroïne, des fumoirs d’opium et des bordels dans les années 50 et 60. En général la police fermait les yeux sur ces activités illégales pour trois raisons : la police était bloquée par les enjeux politiques, certains étaient soudoyés et la cité était trop dangereuse.
Le pouvoir était donc entre les mains des triades. Mais le vent a fini par tourner dans les années 70, lorsqu’une vague de campagnes anti-corruption a fait tomber la plupart des éléments corrompus parmi les autorités. Cela porta un coup dur aux triades qui n’étaient plus protégées, et elles s’affaiblirent.
Démolition de la citadelle de Kowloon
La hauteur de la ville fortifiée de Kowloon a augmenté avec le reste de Hong Kong. Dans les années 1950, les logements étaient généralement constitués d’immeubles bas en bois et en pierre. Puis des bâtiments en béton de quatre ou cinq étages sont apparus dans les années 1960, dont beaucoup ont par la suite été remplacés par des blocs de 10 étages ou plus dans les années 1970.
La ville est progressivement devenue saturée et chaotique, avec des bâtiments si proches les uns des autres qu’il était impossible pour certains habitants d’ouvrir une fenêtre.
Les loyers bas attiraient également de nombreuses petites usines, fabricant généralement de la nourriture, des produits en plastique et des jouets. Si ces usines rapportaient de l’argent à leurs propriétaires, elles apportaient également plus de déchets, de pollution et de risques d’incendie à la ville.
Une ingérence limitée des autorités signifiait également un bien-être limité. En dehors des services municipaux de base comme la collecte des ordures, les résidents devaient compter les uns sur les autres pour rendre leurs conditions de vie acceptables. Les habitants de la Citadelle de Kowloon formaient ainsi une communauté très soudée de gens prêts à s’entraider.
Mais en janvier 1987 le gouvernement a annoncé son intention de démolir la cité. Le processus d’expulsion fut ardu et prit beaucoup de temps, mais en mars 1993 la démolition a pu débuter et s’est achevée en avril 1994. Le parc de la citadelle de Kowloon qui se tient désormais à la place de la citadelle a été inauguré en décembre 1995.
En cantonais, la citadelle de Kowloon était surnommée la Ville des Ténèbres, car c’était un bidonville fétide qui ruisselait d’eaux usées et grouillait de rats. Mais malgré tout, ses habitants ont fermement lutté jusqu’au bout pour rester dans leur cité. Et pour voir ce que cela donnait en vrai, on se quitte avec un reportage réalisé par le WSJ.