
Retour sur le Kamchatcha, la vallée de la mort russe
On pourrait décrire la péninsule volcanique de Kamchatka, en Extrême-Orient russe, comme un paradis hivernal volcanique.
La neige y recouvre une chaîne de montagnes éruptives qui inondent régulièrement le sol de larve brûlante. Ce site magnifique est aussi doté d’une biodiversité impressionnante, avec une myriade d’espèces terrestres, aériennes et aquatiques. Mais il existe dans ce paradis froid, une petite vallée où les animaux qui y rentrent n’en sortent plus.

Une vallée mortelle au milieu d’un écosystème florissant
La péninsule du Kamchatka est en grande partie un désert volcanique glacial où ne vivent que quelques 350 000 personnes. On y trouve beaucoup de volcans, comme le Tolbachik et le Sheveluch, qui sont hyperactifs et recouvrent fréquemment le sol de lave. Un lieu fascinant inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO et dont les curiosités géologiques et l’esthétique extraordinaire attirent les visiteurs scientifiques du monde entier.
Sur Kamchatka, lorsque la neige fond, divers animaux, des lièvres aux oiseaux, prennent d’assaut la végétation à la recherche de nourriture et d’eau. Beaucoup d’entre eux entrent dans une petite vallée qui se trouve sur la péninsule et meurent peu après. Leurs cadavres attirent de nombreux charognards prédateurs, comme les carcajous, qui plongent eux aussi dans la vallée pour y mourir à leur tour. Des ours aux aigles, des lynx aux renards, ce creux de 2 km de long fait d’innombrables victimes. Mais le tueur qui s’y cache est un fantôme, car les cadavres naturellement réfrigérés et conservés des animaux morts ne présentent aucune trace de blessures externes ou de maladies qui seraient responsables de leur mort.
La cause des nombreux décès a été découverte en 1975 par Vladimir Leonov, volcanologue à l’Institut russe de volcanologie et de sismologie (IVS), lors de sa première visite sur le site. En effet Leonov, qui est aussi reconnu par ses collègues comme celui qui a découvert la vallée mortelle, est arrivé à la conclusion que les morts étranges étaient dues à un phénomène volcanique : un gaz commun que presque tout le monde connaît.
Ce qui arrive quand on entre dans la vallée de la mort russe
Les nombreux décès dans la mystérieuse vallée de Kamchatka ont naturellement interpellé les autorités russes. Viktor Deryagin, un étudiant de Leonov qui a aidé son instructeur à découvrir la vallée, raconte ainsi que les responsables militaires soviétiques, alertés de l’existence de la vallée, sont arrivés dans un hélicoptère, ont pris des échantillons et sont rapidement repartis.
Le lendemain, Deryagin dit qu’un hélicoptère militaire est revenu sur les lieux avec à son bord un major, un homme (peut-être un biologiste) et deux jeunes femmes (probablement des assistants de laboratoire). L’équipe a pris de nombreuses notes puis a effectué une autopsie hâtive des ours morts, prélevé des échantillons de leur chair et de leurs dents, avant de s’envoler.
Leonov et Deryagin ont effectué leurs propres analyses scientifiques et rassemblé autant de données que possible sur l’étrange vallée. En 1976, Leonov a décrit leurs découvertes dans le journal Kamchatskaya Pravda en utilisant le terme « Vallée de la mort » pour désigner le site. Dans son article, Leonov avait écrit que la “la nature semble avoir prononcé sa malédiction”. Toute vie est éteinte dans cet endroit qui “respire l’extermination et la dévastation”.
Des conclusions rapidement corroborées par d’autres chercheurs. Selon un article publié en 1983 par exemple – dont l’auteur principal, Gennady Karpov, est maintenant le directeur adjoint des sciences à l’IVS – on peut lire que sur une période de cinq ans, les gardes de la réserve ont trouvé les cadavres de 13 ours, trois carcajous, neuf renards, 86 souris, 19 corbeaux, plus de 40 petits oiseaux, un lièvre et un aigle.
Par ailleurs, un spécialiste des ours bien connu, du nom de Vitaly Nikolayenko, décrit avoir ressenti lors d’une de ses visites en 1975, des crampes douloureuses dans ses poumons et des étourdissements aigus, qui ne se sont estompés que lorsqu’il a grimpé au sommet d’une crête balayée par le vent. D’autres visiteurs ont également rapporté des sensations similaires, et les responsables de la réserve ont noté des maux de tête et un affaiblissement du corps lorsqu’on se trouve dans la vallée. On raconte que des gens seraient également morts dans cette vallée, mais cela n’a pas été confirmé.
Un gaz bien connu semble être à l’origine des morts
D’après les investigations des volcanologues et des zoologistes, les animaux morts dans la vallée succombent généralement rapidement et seulement au sol. L’autopsie des cadavres a révélé que leur cœur manquait souvent de sang, tandis que leurs poumons en étaient gorgés, signes qu’ils avaient suffoqués. Un risque auquel s’expose également toute personne qui s’attarderait trop longtemps dans cette vallée de la mort remplie de gaz volcaniques invisibles, toxiques ou asphyxiants.
En effet, la vallée contient en permanence un certain nombre de gaz, dont le dioxyde de soufre et le sulfure d’hydrogène, qui peuvent tous deux endommager les systèmes respiratoires. Certaines doses peuvent même être mortelles. Mais pour qu’elles puissent tuer un humain, il faudrait qu’il soit exposé à une grande quantité pendant une longue période, explique Helen Robinson, chercheuse en systèmes géothermiques à l’Université de Glasgow.
Toutefois, les chercheurs pensent qu’il est plus probable que la mort rapide des animaux au Kamchatka soit due au dioxyde de carbone, un gaz volcanique plus commun qui est à la fois invisible et inodore. S’il y en a assez, dit Robinson, la mort peut survenir en quelques minutes.
Quant à savoir ce qui advient de tous ces animaux morts et congelés dans la vallée de la mort, selon quelques sites touristiques, des scientifiques et des bénévoles emporteraient régulièrement leurs cadavres pour éviter qu’ils n’attirent d’autres animaux plus rares. Mais il s’agit plus d’une rumeur que d’un fait corroboré.